Peter Peter est un artiste qu’il fait bon de suivre. Son univers mélancolique, édulcoré et intense, ne laisse pas de place au doute : nous avons affaire à une des plus belles plumes qu’il nous ait été donné de découvrir ces dernières années. Son écriture puise son inspiration dans son expérience, comme dans ses rêves, tandis que ses mélodies sont le fruit de ses divagations. Vous retrouverez le reste de l’article ci-après !
C’est donc dans le cadre de la sortie de son troisième album, intitulé Noir Éden, que Jessica et moi avons eu la chance de rencontrer Peter Peter, Canadien francophone, qui s’est fait connaître dans nos contrées grâce à Une version améliorée de la tristesse notamment. Nous tenons tout particulièrement à remercier notre partenaire de chez Arista, qui nous a assisté durant tout le processus.
Jessica, Peter Peter et moi avions rendez-vous dans un café du nord de Paris, en fin de journée. Le soleil descendait lentement. Nous le retrouvons attablé, une tisane posée devant lui. Il envoie un texto, passe un coup de fil, et prend une gorgée avant de lever ses yeux verts vers nous. Il sourit. Cet album, c’est un accomplissement. Un travail de longue haleine dont il est fier. Mais Peter Peter est le plus à-même de nous en parler.
Notre échange :
Taha : Tu as sorti ton album le 3 février. C’est le troisième, le dernier étant sorti en 2012. Cinq ans, ce n’est pas long, entre deux albums ?
Peter Peter : Exactement. C’est vraiment long, et je ferai en sorte que ça n’arrive plus, pour les prochains. Peut-être que je reprendrai ce rythme, quand je serai vieux. Mais c’est à devenir fou. L’écriture était ce qui me procurait une certaine stabilité, qui faisait que ma psyché se tenait. Pour répondre à ta question, c’est très long.
Taha : Tu as changé de direction, tu as adopté un style différent d’Une version améliorée de la tristesse, voire même du premier.
Peter Peter : C’est vrai ! Ça reflète aussi ma personne. C’est un parcours que je ne me voyais pas faire, je ne voulais pas faire une suite d’Une version améliorée de la tristesse. À l’époque, j’écrivais mes chansons au fur et à mesure, et cela ressemblait à un collectif de chansons. Pour celui-ci, en revanche, je l’ai écrit de A à Z dans un même état d’esprit. J’avais envie de faire quelque chose de moins esthète, de différent, d’un agencement plus hétéroclite. Un matin, je me suis réveillé, et j’avais décidé d’écrire un album. C’est un album qui raconte deux ans de ma vie, mais que j’ai écrit sur cinq années. La seule chanson qui date d’il y a longtemps est Little Shangri-La, que j’avais écrite juste après Une version améliorée de la tristesse. Autrement, cet album raconte ces années-là, perdu dans ma tête, dans mes rêves…
Taha : C’est un album qui explore non seulement les rêves, mais aussi musicalement différents styles, avec des sonorités rétro, pop. Tu te dis éclectique, penses-tu te cantonner à ces styles là ?
Peter Peter : J’avais surtout envie d’écrire un album de chansons, de textes. Je pense que c’est de la chanson pop. L’habillage je m’en foutais un peu, je ne m’étais fixé sur aucun style. Pendant de longues années-là, je ne voyais que deux options : acoustique, ou électro. Je me disais que je ne pourrais pas avoir d’album trop homogène, trop identique. Ce n’est pas ce dont j’avais besoin, surtout après cinq ans. J’ai beaucoup fantasmé cet album, me suis fait beaucoup d’idées. J’avais surtout besoin d’une narrative, sur celui-ci. C’est ce qui m’important. La texture, moins.
Taha : Tu étais donc dans l’essence du texte, et de l’écriture.
Peter Peter : Noir Éden, c’est vraiment ça. Quelqu’un qui se parle, qui a du dialogue avec lui-même.
Taha : C’est beaucoup de fantasmes, d’illusions, de réflexions aussi. Tu dis avoir introduit le synthé dans ta musique.
Jessica : Cet album apporte une part beaucoup plus importante aux instruments, par rapport à tes premiers albums.
Peter Peter : Quand je suis arrivé à Paris, j’étais plus porté vers ce genre d’instruments, qui au final peuvent se gérer au niveau sonore, tandis qu’à Montréal j’allais jouer et répéter en groupe, avec des guitares. Je pense que beaucoup de gens se tournent vers l’électronique à Paris dû à la taille des appartements. Tout se passe dans le casque. Je pense que c’est un choix qui a été influencé par mon mode de vie, et par une curiosité aussi. Lors de la composition d’Une version améliorée de la tristesse, je n’avais pas de synthé. J’avais des instruments, mais je débarquais en studio, et faisais des maquettes. Le synthé m’était encore inconnu, je n’aurais pas assumé un son produit seul. J’avais besoin de quelqu’un pour me cadrer, me donner son avis, me dire « Ça, c’est le bon son ! » La différence est qu’avec Noir Éden, j’ai enregistré un album chez moi. En anglais, on appelle ça « commitment », c’est faire un choix, et s’y tenir. Pour Bien réel et Damien, la prise de voix a été faite chez moi. J’ai fait ça avec un micro à 200 balles. Il s’agit d’une interprétation faite en une seule prise. J’avais cette curiosité-là, et je souhaitais me prouver à moi-même que je pouvais faire un album dont je pouvais garder les prises, et avoir la mainmise sur sa finalité.
Taha : Tu as enregistré combien de chansons, pour cet album ?
Peter Peter : Beaucoup. Des chansons issues de différentes époques, au final, ce qui est assez représentatif de la production de cet album : cinq ans. J’ai enregistré quatorze chansons à Montréal au début, puis à Paris, mais cet album ne me plaisait pas. J’ai fait une pause, composé ensuite Noir Éden, Bien réel, Damien, et Loving Game, et un autre morceau en peu de temps. Puis beaucoup de production. Je suis retourné en studio ici, accompagné d’un ami, un co-réalisateur, Pierrick Devin. Retour à Montréal, j’ai ajouté de la batterie à tous les morceaux, afin de donner un peu de matière et de cohérence à l’ensemble. Ça a été un chemin de réalisation durant lequel tout passait par moi. Et ce qui ne me plaisait pas était remplacé, donc tout a pris plus de temps.
Jessica : Tu es vraiment dans un état d’esprit où tu fais tout toi-même, plutôt qu’un studio.
Peter Peter : Quand j’ai commencé le disque, je n’assumais pas nécessairement ce côté-là de la production. Je me suis prouvé au final que je pouvais y arriver, avec l’aide des gens – il m’a fallu de l’aide. Il a fallu que je passe par cette phase, où j’ai assumé cette facette. J’avais envie que cet album me ressemble, et quand tu mets la main à la pâte, ça te ressemble encore plus, finalement.
Jessica : Est-ce lié à tes anciennes envies, d’être producteur de cinéma ?
Peter Peter : Bonne question ! Peut-être. C’est une échelle à laquelle tu peux tout contrôler. C’est ce qui m’a amené vers la chanson. Le cinéma reste pour moi quelque chose de trop protocolaire. J’ai toujours voulu diriger mes chansons et dire que j’étais le produit de mes œuvres. Au cinéma, il y a côté que je trouve usurpateur : tu fais quelque chose de bien, entouré d’une superbe équipe, et finis par être le seul glorifié. J’avais besoin de prouver que cet album était à 90% mon travail, et à 10% celui des gens qui m’entourent, et non l’inverse.
Jessica : Tu as suivi des études de cinéma. Et est-ce que te pousse à t’impliquer dans la réalisation de tes clips ?
Peter Peter : C’est quelque chose que j’avais toujours envie de faire, que j’ai fait jusqu’à Noir Éden. J’étais assez control freak, sur ces trucs-là. C’est un côté de la chose que j’ai envie de lâcher, car tout y revient : on travaille en équipe. J’ai encore de la difficulté à travailler en groupe : c’est quelque chose que j’ai appris en studio, sur ce disque-là. Dire non à des gens me semble difficile, et insister, dire « Mon idée est meilleure que la tienne » m’est toujours délicat. T’as parfois du mal à discerner le juste milieu. Pour les clips, dont Noir Éden, après tout le tumulte qu’a été le processus créatif, je voulais que quelqu’un tienne la caméra, et que cela soit un plan-séquence. Je ne voulais que personne d’autre n’ait un pouvoir éditorial, qui puisse en jouer lors du montage. J’ai appris à laisser la main petit à petit, mais je reste control freak, malgré moi.
Taha : Est-ce que le choix d’une carrière solo provient de ce trait de personnalité, de ce côté control freak, justement ?
Peter Peter : Oui ! Absolument ! La musique est venue en partie après mes études dans le cinéma. J’ai commencé par la poésie, puis j’ai intégré un groupe d’amis, orienté metal. Ça a été mon école de la musique, durant laquelle j’ai fait mes premiers lives, mes premiers concerts. Mais nous avions des divergences d’opinion, puis ça m’a carrément fait chier à certains moments, donc j’ai appris à jouer de la guitare et ai commencé à faire mes trucs. La carrière solo vient du fait que j’ai essayé de travailler avec des gens, mais que ça m’énerve. J’aime les gens, mais c’est moi qui m’énerve.
Jessica : J’ai eu la chance de te voir sur scène avec tes nouveaux musiciens, que tu as depuis un moment. Il y a une vraie alchimie entre vous, une vraie connexion.
Peter Peter : C’est ce qui est vraiment agréable, avec eux ! C’est le premier groupe que je forme qui n’est pas issu de l’amitié. Mes groupes ont toujours été portés par des choix d’amitiés, tandis que cette fois-ci, ce sont des collègues devenus mes amis ! Je suis vraiment trop content de ce groupe, et ça a été vraiment providentiel pour moi. Le processus a été long, mais je suis tombé sur les bons.
Taha : Te sens-tu épanoui, maintenant, étant dans la musique, par rapport au cinéma ?
Peter Peter : Oh oui ! Le cinéma, c’est terminé pour moi, à présent. Dans le sens où ça a une curiosité vers les arts que j’ai développée à 14 ans, après avoir vu Orange Mécanique. J’ai à ce moment-là réalisé que quelque chose pouvait être plus profond que les films de Bruce Willis. Stanley Kubrick a été mon élément déclencheur : après avoir vu ce film, j’ai regardé toute sa filmographie, et ai voulu m’y lancer. C’est grâce au cinéma que je me suis ouvert à la poésie, à quelque chose d’autre, qui s’est par la suite transformé. Je ne raterai pas ma vie si je ne réalise pas de film. La musique et les mots sont les choses grâce auxquelles je me sens épanoui. Je veux continuer.
Jessica : Si tu n’avais pas la musique, que serait devenu Peter Peter ?
Peter Peter : Bonne question ! Très bonne question ! Je ne sais pas du tout. Si ça n’avait pas été les arts, je ne sais pas ce que j’aurais choisi. Quand j’étais jeune, je voulais, par effet d’imitation, être flic, comme mon grand-père. Mais c’est probablement le côté hollywoodien de la chose qui m’avait romantisé le métier. Je trouvais ça cool. Mais être flic, c’est tout sauf être cool. Surtout en ce moment. Je m’intéresse aujourd’hui à la bande dessinée, mais j’ai une calligraphie qui démontre bien que je ne peux pas dessiner ! C’est un art que j’aurais aimé faire : rester seul à travailler mes sketchs et mes planches, travailler avec les maisons d’édition, voilà ce qui m’aurait plu.
Taha : Ce goût se retrouve aussi sur tes couvertures de single, qui semblent être tout droit issues de bandes dessinées, et sur ta couverture d’album figure un chat sur ton épaule. Et d’ailleurs, qui est ce chat ?
Peter Peter : Pas le chat pour qui j’ai écrit la chanson Vénus. Je ne voulais pas de chat sur le set, mais l’assistante du photographe avait le sien. Je faisais des photos de presse, et ne voulais que Vénus. On a essayé, j’en ai pris plein d’autres, et au final, en voyant celle-ci, je me suis dit « C’est la cover de mon disque ! », il s’appelle Humphrey.
Taha : Tu pourrais-tu nous dessiner un chat ?
Peter Peter : Oh my God. Je n’aurais pas dû en parler ! C’est le pire moment, après les shows, quand je fais les dédicaces, les gens voient comment j’écris, et pensent que je déconne. Comment on dessine un chat, déjà ?
Peter Peter : Je suis allé au max de mes compétences !
Taha : Merci beaucoup ! Reprenons notre sérieux : te sens-tu bien à Paris ?
Peter Peter : J’adore ! J’adore !
Jessica : Tu as beaucoup déménagé dans ta vie, d’abord Montréal, puis Paris… Est-ce fini, ou te vois-tu encore déménager ?
Peter Peter : Je suis posé, honnêtement, et c’est la première fois que j’ai un bail ! Ça a été une guerre. J’avais souvent idéalisé la solitude, l’errance, le côté un peu nomade, et je me suis rendu compte que ça ne me rendait pas plus productif, que ça ne me faisait pas plus écrire, voire l’inverse. Je n’avais nulle part où me poser, je devenais anxieux, et personne avec qui en discuter. Je pensais que Paris allait me lasser, partir à Tokyo, que ce serait une éternelle fuite… Mais j’ai mon studio chez moi, et j’ai envie de faire du son non-stop pour les prochaines années.
Jessica : Ta pire manie de Parisien ?
Peter Peter : Mhh…
Taha : Tu as fait la bise à Jess ! C’est un signe que tu t’appropries nos habitudes ?
Peter Peter : Je fais la bise, ça dépend des matins ! Certaines fois, je me dis qu’il faut que je sois Français, ça fait trois ans que je suis ici. Mais ma pire manie de parisien est sans doute de râler ! Mais je râlais déjà à Montréal.
Taha : Et de quoi te plains-tu, en ce moment ?
Peter Peter : Maintenant que l’album est terminé, je ne me plains de rien ! Je ne me plains pas du temps. Je me plains de la faiblesse du dollar canadien, mais je suis tellement occupé que je n’en ai même plus le temps !
Jessica : Tu disais dans d’anciennes interview que chanter en anglais n’était pour toi pas naturel. Dans Loving Game, tu introduis des refrains en anglais. Verra-t-on un jour une chanson de Peter Peter entièrement en anglais ?
Peter Peter : Ce ne serait probablement pas sous le nom de Peter Peter, mais ça n’est pas impossible ! À chaque fois que j’entame le processus, je me rends compte que je n’en ai pas envie pour le moment, bien que je ne m’interdise rien. Je trouvais cela intéressant de le faire chanter par un gospel, sur cette chanson-là. Je m’amuse plus à franciser l’anglais ! Comme fait dans Little Shangri-Là, ici-là dans Allégresse, aussi. Mais ça n’est pas dans mes plans. Lancer une carrière anglophone ne m’intéresse pas.
Taha : Un chanteur à textes est quelque chose qui manquait en ce moment dans le paysage de la musique française, plutôt qu’un producteur pur. En ce moment, on entend beaucoup parler du groupe Paradis, qui explose, mais qui joue de la mélodie plutôt que des textes, tandis que tu apportes cette qualité.
Peter Peter : C’est vrai, dans le sens où avec Noir Éden, j’avais presque envie de faire un album de chanson classique, de chanson française. J’avais envie d’être un chanteur de variété, d’assumer ce côté-là. J’avais envie d’embrasser ce côté de ma musique pour un album entier.
Taha : Nous avions une question pour toi aussi, au niveau musical : qu’est-ce qui passe en boucle en ce moment dans les oreilles de Peter Peter ?
Peter Peter : Beaucoup de choses ! J’ai beaucoup écouté Kaytranada, un producteur montréalais de 24 ans je crois, un prodige ! L’album 99,9% est un album vers lequel je reviens très régulièrement, je passe à autre chose, puis reviens dessus. Alex Cameron, aussi. Mais honnêtement, le dernier truc que j’aie scotché était Kaytranada, qui est pour le meilleur album de 2016.
Jessica : Sur ton premier album, tu as travaillé avec Cœur de Pirate. Des nouveaux projets ? Une collaboration de rêve ?
Peter Peter : J’ai fait cet album vraiment dans la solitude. Et je l’ai toujours été. Ma rencontre avec elle a été le fruit du hasard, nous travaillions tous les deux à l’époque avec le même producteur, qui nous a présenté l’un à l’autre. Sa voix se mariait très bien avec la musique sur laquelle je travaillais à l’époque… En ce qui concerne une collaboration de rêve, Natasha Kahn, Bat for Lashes. Mais beaucoup de morts ! Ce qui n’arrange pas les choses !
Taha : On arrive à la fin… Quel est ton bilan des interviews, jusqu’à présent ?
Peter Peter : C’est quelque chose que j’apprécie ! Le moins rigolo reste de faire des clips ! J’ai tellement été enfermé à vivre seul, avec cet album-là, que je suis hyper content d’en parler. Au Québec, comme ici, les deux territoires interprètent et reçoivent l’album de la même façon, ce qui me rend très fier.
Jessica : Et comment ressens-tu cette sortie d’album ? La deuxième est souvent décrite comme plus difficile.
Peter Peter : Cet album était mon troisième, et je dirais que c’est pourtant lui qui a été le plus difficile à sortir. Avec ce mode de vie nomade, sans attache, il est difficile de rester focalisé. Il le fallait que je le sois plus que jamais. Une version améliorée de la tristesse avait été finalisé au terme d’un mois et demi de studio, tandis que pour celui-ci, j’en avais beaucoup sur les épaules. J’étais réalisateur, producteur… Tout à la fois. Mais j’en suis fier, il m’ouvre aux deux pays, et je suis content pour le coup de donner des entrevues.
Jessica : Qu’est-ce qui te manque le plus, et le moins, au Québec ?
Peter Peter : Ce qui me manque, c’est le Mont Royal. Ma mère, et mon meilleur pote, qui est encore là-bas. Sinon, je suis très bien ici.
Jessica et Taha : Merci beaucoup à toi, pour ton temps.
Peter Peter : Merci à vous, c’était cool.
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